Une confrontation de trois modèles de mariage à partir de l'analyse des transferts ordonnés lors du divorce
Catherine Sofer^
(*) Cresep, Université d'Orléans
(**) Lamia, Université de Paris I Panthéon Sorbonne
L'étude à l'origine de cet article a bénéficié d'une subvention du Conseil de la recherche du ministère de la Justice.
Economie et Prévision
n°102-103 1992-1/2
Les économistes ont désormais, parallèlement aux sociologues et aux psychologues, une approche spécifique, en termes de coûts et d'avantages, de la question de savoir pourquoi on se marie. Ainsi G.Becker (1981) propose deux modèles différents pour expliquer les mariages ; nous montrerons que ces modèles ne sont cohérents entre eux que sous certaines conditions.
Une deuxième question est posée : les gains essentiels du mariage proviennent-ils de la division sexuelle du travail ? G.Becker y répond sans ambiguïté par l'affirmative. Toutefois, le mariage comme contrat de long terme est de moins en moins exécutoire, si bien que les gains d'efficience rendus possibles par une stricte division sexuelle du travail semblent aujourd'hui en passe d'être annihilés par les risques croissants des mésententes et/ou des divorces auxquels les époux et en particulier les femmes sont confrontés.
Le but de cet article est de présenter trois modèles alternatifs de mariage et de les tester. Nous cherchons à estimer le modèle de mariage correspondant à l'opinion publique, au moment de la collecte des données, c'est-à-dire en 1986, opinion publique que nous supposerons représentée par le juge aux affaires matrimoniales. La méthode paraît, au premier regard, peu orthodoxe. Indiquons, pour sa défense, que si les individus adoptent plus ou moins le même modèle "intérieur" du mariage, celui-ci devient nécessairement le vrai modèle : si la majorité admet qu'une femme mariée doit investir en premier lieu dans le mariage, alors on observera qu'une majorité de femmes se comportera de la sorte. Inversement, des jeunes filles formées en vue d'occuper un emploi futur, parce que tout le monde, y compris leurs parents, estime qu'en général le mariage est une affaire trop risquée pour justifier des sacrifices individuels en termes de salaire potentiel, investiront beaucoup moins dans le mariage.
Pour mener à bien le test, nous avons exploité des jugements de divorce : des modèles différents de mariage induisent des droits différents à des prestations compensatoires en cas de divorce : si, par exemple, le contrat de mariage implique (même si c'est de façon implicite) que l'épouse réalise d'importants investissements dans la production domestique, celle-ci doit avoir droit à compensation (sous forme de prestation compensatoire) si le mariage s'interrompt avant sa fin naturelle. Ce n'est pas le cas si la femme a investi prioritairement dans une carrière sur le marché du travail.
La montée du nombre de divorces que l'on avait observée tout au long des années soixante-dix et pendant la première moitié des années quatre-vingt semble avoir pris fin (Munoz-Perez, 1991). Leur nombre a diminué légèrement depuis 1986, année où il avait atteint son plus haut niveau avec 106 709 cas. De fait, sa banalisation a transformé sa nature : aujourd'hui, c'est moins une décision à caractère
247