La « période Covid » a-t-elle vraiment changé les principes de la gestion de crise épidémique dans le cadre scolaire ? Les mesures adoptées entre 2020 et 2022 s’inscrivent dans une politique définie en réalité depuis le XIXe siècle. Derrière la principale innovation, la « continuité pédagogique », c’est un nouveau rapport à l’école cependant qui s’est révélé.
Le Covid a bousculé le quotidien des élèves et des enseignants comme la culture scolaire et ses routines. Le confinement (qui s’est accompagné de la fermeture complète des établissements scolaires du 16 mars au 11 mai 2020 et de nouvelles formes d’enseignement à distance) a été vécu comme une véritable rupture.
Cette période s’est prolongée avec un déconfinement progressif et de multiples protocoles, changeant selon le contexte épidémique et en vigueur jusqu’au début de l’année scolaire 2022-2023 : port du masque, distanciation physique, limitation du brassage des élèves, gestes barrières, isolement des élèves infectés, gestion des cas contacts, (auto)tests, reconfinements, etc.
Pourtant, à l’échelle du temps historique, ces mesures constituent-elles un bouleversement dans la manière dont l’école fait face aux épidémies ? Cinq ans après la pandémie de Covid-19, quelques remises en perspective de la gestion de crise.
Vacciner et isoler les élèves malades
L’institution scolaire a dû faire face de manière cyclique à des épisodes épidémiques tout au long du XIXe siècle, et ce, jusqu’au milieu du XXe siècle, qu’il s’agisse de maladies bénignes (oreillons, rougeole, scarlatine) ou non (variole, diphtérie, choléra, tuberculose). En lien avec l’État et ses représentants locaux, ainsi que les institutions locales de santé publique (qui se structurent à partir du milieu du XIXe siècle), des mesures sanitaires de prévention et de lutte contre les épidémies sont progressivement définies et mises en œuvre.
La loi sur la scolarité obligatoire dite loi Ferry du 28 mars 1882 prévoyait ainsi dans sa version initiale, la vaccination obligatoire contre la variole. L’opposition des familles incite le ministre de l’instruction publique à renoncer à cette mesure qui entre finalement en vigueur en 1902.
Dans les années 1890 sont également définies des durées d’éviction des élèves (parfois de leurs frères et sœurs) selon le type d’affection et sa contagiosité. Elles doivent se faire au cas par cas, de manière successive et être accompagnées de la désinfection des cahiers, livres ou objets contaminés (voire leur destruction). Par exemple, la diphtérie nécessite 30 jours d’éviction, après guérison attestée par un certificat du médecin, mais cette durée peut être plus courte si « après deux ensemencements [tests] opérés à huit jours d’intervalle, l’examen bactériologique est négatif ».
Prévention et éducation à la santé
D’autre part, des instituteurs, des inspecteurs, des médecins et des associations s’efforcent de développer ce qu’on appellerait aujourd’hui une « éducation à la santé » par des actions de prévention, de contrôle de l’hygiène ou d’incitation à la vaccination.
La lutte contre la tuberculose bénéficie notamment du soutien de la mission Rockfeller. Après la Grande Guerre, la mission participe à la diffusion de la « propagande antituberculeuse » – selon une expression fréquente à l’époque –, c’est-à-dire de brochures pédagogiques qui entendent contribuer à l’éducation sanitaire des populations en expliquant les premiers symptômes de la maladie, comment elle se propage et s’en protéger.

Par exemple, en 1919, la brochure Combattez et évitez la tuberculose, éditée par la Commission américaine de préservation contre la tuberculose en France, recommande, dessins à l’appui, le lavage des mains avant les repas, de « porter [sa] main ou [son] mouchoir devant la bouche lorsque [l’on] tousse ou éternue », ainsi que le renouvellement de « l’air vicié » dans les logements.
L’état du bâti scolaire est cependant un problème récurrent qui rend difficile une bonne aération des locaux, malgré les recommandations répétées des plans de (re)construction des écoles ou des brochures de prévention.
Après la destruction de nombreuses écoles du nord de la France au cours de la Première Guerre mondiale, la commission permanente de préservation contre la tuberculose (rattachée au ministère de l’intérieur) recommande par exemple au ministère des régions libérées et aux services locaux d’architecture de prévoir une hauteur sous plafond de 3,5 mètres minimum et de larges fenêtres sur deux faces opposées, ainsi que « des prises d’air à vannes réglables au niveau des planchers ou carrelages », afin de permettre l’assainissement de l’air des écoles. Ces dernières peuvent même être exceptionnellement fermées dans un contexte de circulation active d’une épidémie.
Maintenir les écoles ouvertes
Dès la fin du XIXe siècle, le ministère de l’instruction publique définit une doctrine en la matière : la non-fermeture (on dit alors « licenciement ») des établissements en contexte épidémique. En effet, l’isolement des élèves malades est préféré à la fermeture complète de l’établissement, suivant l’avis du Comité consultatif d’hygiène publique de France. Les autorités publiques mettent ainsi en avant les conséquences sanitaires d’une fermeture des écoles qui favoriserait la diffusion de l’épidémie au lieu de la contenir. Dans une circulaire du 13 mars 1893, Raymond Poincaré écrit ainsi que « le licenciement de l’école peut favoriser la contagion au lieu d’y remédier ».
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Ce principe ne résiste pas toujours à la réalité épidémique et doit être rappelé à plusieurs reprises, en particulier après la Grande Guerre, période marquée par une recrudescence des épidémies de diphtérie, de scarlatine ou encore de rougeole.
L’épidémie de grippe espagnole oblige même certains préfets à fermer la totalité des établissements de leur département (Somme, Seine-Maritime, entre autres) pendant une vingtaine de jours au cours de l’automne 1918. Le ministre de l’instruction publique, Léon Bérard, doit rappeler, dans une circulaire du 12 décembre 1919, la règle à suivre en cas d’épidémie (celle déjà définie en 1893) :
« Recourir à des évictions successives avant de prononcer le licenciement [qui] doit être considéré comme une mesure extrême : on ne doit l’envisager que si le nombre de malades est trop grand pour que leur isolement soit possible. »
Durant les périodes de fermeture de certaines classes, ou d’éviction d’élèves, aucune continuité des apprentissages n’est prévue à cette époque. Les parents qui s’en émeuvent sont une exception dans les rares traces archivées.
La continuité pédagogique : la grande nouveauté ?
La mise en œuvre de la continuité pédagogique a donc été la principale innovation des années Covid. Inaugurée en 2020, puis accompagnée d’un plan de continuité des apprentissages publié en juillet 2020 (soit après le premier confinement), elle a cependant été définie par le ministère de l’éducation nationale, dès 2006, dans le cadre de la préparation du premier plan antipandémie (contre la grippe A H5N1). L’objectif est alors le maintien des connaissances déjà acquises et du lien des élèves avec l’école, notamment par des échanges téléphoniques avec les équipes éducatives.
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Une nouvelle attente émerge lors de la mise à jour du plan en 2008-2009 dans le contexte de la pandémie grippale H1N1 : il s’agit désormais de progresser dans les programmes et de développer de nouvelles compétences, une rupture que symbolise, depuis, l’expression de « continuité éducative ».
La « période Covid » n’a donc pas fondamentalement changé les principes de la gestion de crise épidémique. Les mesures adoptées entre 2020 et 2022 sont en effet quasiment les mêmes que celles qui étaient appliquées à la fin du XIXe et au début du XXesiècles. En revanche, la donne pédagogique a changé. Mais, elle est probablement davantage un révélateur d’une autre évolution de fond : un nouveau type de rapport de la société à l’école, dont le fonctionnement correspond aussi aux nouvelles attentes des familles.