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Un jeune couple hétérosexuel assis côte à côte dans un bus, la femme regarde ailleurs tandis que l'homme lui parle d'un ton sévère.
Les femmes sont, en moyenne, plus heureuses célibataires que les hommes, qui, pour leur part, sombreraient de plus en plus dans l’« hétéropessimisme ». Drazen Zigic/Shutterstock

Génération Z : l’amour en crise

Baisse de l’activité sexuelle, montée d’un certain « hétéropessimisme » ou célibat revendiqué… de plus en plus d’éléments indiquent que la génération Z se détourne des formes traditionnelles de rencontres et des relations amoureuses à long terme. Dans le même temps, on observe un clivage politique entre jeunes femmes – plus progressistes – et jeunes hommes – plus conservateurs. Comment analyser ces évolutions, au regard du contexte politique, social et économique ?


Des signes de clivage politique entre les jeunes hommes et les jeunes femmes ont pu être observés au cours de l’année écoulée. Les données issues des élections dans plusieurs pays indiquent que les femmes âgées de 18 à 29 ans se montrent nettement plus progressistes, tandis que les jeunes hommes penchent davantage vers le conservatisme. Une récente étude, menée dans 30 pays a également révélé que la génération Z est plus divisée que les précédentes sur les questions liées à l’égalité entre les sexes.

Parallèlement, de plus en plus d’éléments montrent que cette génération se détourne des rencontres amoureuses. Selon les données de l’enquête nationale sur la croissance des familles aux États‑Unis (National Survey of Family Growth), entre 2022 et 2023, 24 % des hommes et 13 % des femmes, âgés de 22 à 34 ans, ont déclaré n’avoir eu aucune activité sexuelle au cours de l’année écoulée.

Il s’agit d’une augmentation significative par rapport aux années précédentes. Et les adolescents états-uniens sont moins enclins à entretenir des relations amoureuses que ceux des générations précédentes.

Au Royaume-Uni, les enquêtes menées au cours des dernières décennies révèlent une tendance à la baisse de l’activité sexuelle, tant en termes de fréquence que de nombre de partenaires chez les jeunes. Les applications de rencontre perdent également de leur attrait, les principales plateformes enregistrant des baisses significatives du nombre d’utilisateurs parmi les hétérosexuels de la génération Z l’an dernier.

Une fracture politique genrée

Une fracture politique genrée rend-elle les rencontres plus difficiles ? En tant que sociologues de l’intimité, nos travaux ont montré comment les relations sont affectées par des tendances sociales, économiques et politiques plus larges.

Nos recherches sur la persistance des inégalités de genre montrent qu’elles peuvent affecter la qualité des relations intimes ainsi que leur stabilité.

Par exemple, les relations hétérosexuelles reposent souvent sur une répartition inégale du travail émotionnel et domestique, même au sein des couples ayant des revenus similaires. Certains commentateurs et chercheurs ont identifié une tendance à l’« hétéropessimisme » – un désenchantement vis-à-vis des relations hétérosexuelles, souvent marqué par l’ironie, par le détachement ou par la frustration. De nombreuses femmes expriment une lassitude face aux inégalités de genre qui peuvent apparaître dans les relations avec les hommes.

Mais l’hétéropessimisme a également été identifié chez les hommes et des recherches ont montré que les femmes sont, en moyenne, plus heureuses célibataires que ces derniers.

Prenons le travail domestique. Malgré les avancées en matière d’égalité entre les sexes dans de nombreux domaines, les données montrent que, dans les couples hétérosexuels, les femmes assument encore la majorité des tâches ménagères et des tâches liées au soin. Au Royaume-Uni, elles effectuent en moyenne 60 % de travail non rémunéré de plus que les hommes. Cet écart subsiste même au sein des couples où les deux partenaires travaillent à temps plein.


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En Corée, l’inégalité persistante entre les sexes est considérée comme étant à l’origine du mouvement 4B. Des jeunes femmes coréennes, lassées des stéréotypes sexistes qui les cantonnent à des rôles traditionnels, déclarent rejeter le mariage, la maternité, les relations amoureuses et le sexe avec les hommes.

Dans ce pays et ailleurs, sur les réseaux sociaux, des jeunes femmes se disent « boy sober » [littéralement « sobres de garçons », ndlr]. Le harcèlement, les abus et les « comportements toxiques » sur les applications de rencontre ont, selon certains témoignages, détourné nombre d’entre elles de toute envie de sortir avec quelqu’un.

D’autres ont opté pour la célibat volontaire. Un élément d’explication tient au fait que, pour certaines femmes, la remise en cause des droits reproductifs – comme l’abrogation de l’arrêt Roe v. Wade (qui garantissait le droit fédéral à l’avortement aux États-Unis, ndlr) – rend les questions d’intimité fondamentalement politiques.

Des désaccords politiques, qui auraient, autrefois, pu être surmontés dans une relation, sont aujourd’hui devenus profondément personnels, car ils touchent à des enjeux tels que le droit des femmes à disposer de leur corps et les expériences de misogynie qu’elles peuvent subir.

Bien sûr, les femmes ne sont pas seules à pâtir des inégalités de genre. Dans le domaine de l’éducation, les données suggèrent que les garçons prennent du retard sur les filles à tous les niveaux au Royaume-Uni, bien que des recherches récentes montrent que la tendance s’est inversée en mathématiques et en sciences.

Nombre d’hommes estiment être privés d’opportunités de s’occuper de leurs enfants, notamment en raison de normes dépassées en matière de congé parental, limitant le temps qu’ils peuvent leur consacrer.

Certains influenceurs capitalisent sur les préjudices réels ou supposés des hommes, diffusant leurs visions rétrogrades et sexistes des femmes et du couple sur les réseaux sociaux de millions de garçons et de jeunes hommes.


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Compte tenu de tout cela, il n’est pas surprenant que les jeunes hommes soient plus enclins que les jeunes femmes à affirmer que le féminisme a « fait plus de mal que de bien ».

Anxiété et incertitude

Mais des enjeux politiques et économiques plus larges influencent également les jeunes hommes et les jeunes femmes, et conditionnent leur façon – voire leur décision – de se fréquenter. La génération Z atteint l’âge adulte à une époque de dépression économique. Des recherches montrent que les personnes confrontées à des difficulté économiques peuvent avoir du mal à établir et à maintenir des relations intimes.

Cela peut être en partie dû au fait que les débuts d’une romance sont fortement associés au consumérisme – sorties au restaurant, cadeaux, etc. Mais il existe aussi un manque d’espace mental pour les rencontres lorsque les gens sont sous pression pour joindre les deux bouts. L’insécurité financière affecte également la capacité des jeunes à se payer un logement et, donc, à disposer d’espaces privés avec un partenaire.

On observe, par ailleurs, une augmentation des problèmes de santé mentale signalés par les jeunes dans le monde entier. Les angoisses liées à la pandémie, à la récession économique, au climat et aux conflits internationaux sont omniprésentes.

Ces inquiétudes se reflètent dans les rencontres amoureuses, au point que certains voient dans une relation sentimentale une prise de risque supplémentaire dont il vaut mieux se protéger. Des recherches menées auprès d’utilisateurs hétérosexuels d’applications de rencontre au Royaume-Uni, âgés de 18 à 25 ans, ont révélé qu’ils perçoivent souvent les rencontres comme un affrontement psychologique – dans lequel exprimer son intérêt trop tôt peut mener à l’humiliation ou au rejet.

Il en résulte que ni les jeunes hommes ni les jeunes femmes ne se sentent en sécurité pour manifester un véritable intérêt envers un potentiel partenaire. Cela les enferme souvent dans le fameux, et souvent décrié, « talking stage » (« phase de discussion »), où les relations peinent à progresser.

Comme l’ont montré Lisa Wade et d’autres sociologues, même dans le cadre de relations sexuelles occasionnelles, l’attachement émotionnel est souvent volontairement évité.

Cartoonish illustration of a man holding a mobile phone, which shows a woman running away through an open door
Être vulnérable et risquer le rejet, ou quitter le navire ? Dedraw Studio/Shutterstock

Si la génération Z se détourne des relations amoureuses, ce n’est pas forcément par manque d’envie de créer du lien, mais sans doute en raison d’un sentiment de vulnérabilité accru, nourri par une montée des problèmes de santé mentale et un climat d’insécurité sociale, économique et politique.

Il ne s’agit peut-être pas d’un rejet des relations de la part des jeunes. Peut-être ont-ils plutôt du mal à trouver des espaces émotionnellement sûrs (et financièrement accessibles) propices au développement d’une intimité.

This article was originally published in English

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